Qu’est-ce qui nous pousse à faire de la musique ?
Si nous sommes attirés par la musique, c'est tout d'abord parce que c'est beau. Les sons peuvent nous toucher de différentes manières, faire surgir des sentiments, des souvenirs, nous permettre de rêver, ou tout simplement de nous détendre… On peut projeter chacun tout un tas de choses dans la musique que l'on écoute.
Quand je me rappelle ma première émotion musicale, j'ai le souvenir du palais des sports de Besançon dans lequel je suis allé avec mes parents écouter le 1er concerto pour piano de Tchaïkovsky. Je ne sais pas quel âge j'avais, mais cette musique m'a laissé un souvenir impérissable, une émotion proche de la magie, comme si, pendant un instant, j'avais été baigné dans une chaleur sonore, comme si je me comprenais moi-même et tout le reste aussi. Cette expérience avait le goût d'une vérité profonde pour moi : Qu'est-ce que c'est beau !
Seulement, voilà ! Le problème, avec la beauté, c'est qu'elle est subjective. Certains seront émus par telle ou telle œuvre, d'autres seront touchés par un autre morceau. Et même si on est sensibles à la même œuvre, cela ne sera pas de la même manière. Nous sommes tous différents et avons tous vécu une vie singulière.
Pour exprimer le vécu subjectif de la musique de façon claire, il suffit de regarder l'extrait de l'épisode 45 du 1er livre de la série Kaamelott, intitulé « le oud ». On y voit le Roi Arthur et la Reine Guenièvre dans leur lit. Le Roi est en train de jouer une mélodie sur un Oud (luth arabe) et la reine fond en larme après quelques secondes de musique. Quand Arthur l'interroge sur les raisons de son chagrin, elle prétend que cette musique lui fait penser aux opprimés qui sont loin de chez eux et qui combattent l'oppression. Le Roi reprend exactement le même morceau et la Reine est à nouveau submergée par une émotion incontrôlable. Cette fois-ci, elle explique cette soudaine crise de larmes par une pensée qui lui est venue à l'écoute de la musique : des petits chiots qui s'élancent avec courage dans la vie.
Si cela nous fait rire, c'est bien parce que nous ne pouvons pas nous identifier à ce que le personnage raconte. Tout d'abord, la Reine semble extrêmement sensible à la musique. Un simple morceau déclenche en elle un bouleversement. Mais ce n'est pas tout. Le même morceau lui fait vivre des sentiments opposés (la lutte contre l'oppression d'une part et l'innocence de petits êtres inoffensifs d'autre part). Cela nous montre non seulement une tendance ultra-émotive mais aussi le caractère changeant et instable de la Reine.
Si un dépressif vient assister à un concert, il apportera sa dépression avec lui et toute sa perception sera teintée d'un sentiment de tristesse. Il s'agit là d'interprétations tout à fait personnelles des sons qui sont passés par le filtre de la mémoire, de l'imagination, de l'expérience, de souvenirs plus ou moins proches… bref, de la pensée. La mémoire, la pensée, les souvenirs appartiennent au passé, de même que les attentes, les projections sont du domaine du futur. La musique, elle, se déroule dans le présent. Il est évident que si quelqu'un colle des images, ou des pensées, même un simple « que c'est beau! » pendant l'écoute d'un morceau de musique, cette personne est sortie de la musique. Elle est dans sa tête, en train de penser et n'est plus dans une relation directe et spontanée avec les phénomènes sonores qui se déroulent devant elle.
Par contre, si l'auditeur parvient à rester suffisamment disponible tout au long du concert, il sera en mesure de rester dans le moment présent, si les conditions sont réunies. Nous y reviendrons plus tard.